La budgétisation sensible aux femmes dans les pays du G7 : chaque femme compte
Par Christine LagardeAffiché le 13 mai 2017 par le blog du FMI - iMFdirect
Les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des pays du G7 se sont réunis à Bari (Italie) le week-end dernier pour se pencher sur des questions d’économie mondiale, et notamment étudier des mesures destinées à préserver la stabilité économique et améliorer l’égalité des sexes, qui sont des éléments importants de leurs programmes.
L’autonomisation économique des femmes est bien entendu une priorité internationale depuis fort longtemps. Les Nations Unies avaient désigné l’année 1975 année internationale de la femme pour encourager les femmes du monde entier à réaliser tout leur potentiel, et c’est précisément cette année-là que ce qui était encore le G6 avait été créé. La même année, l’alpiniste Junko Tabei avait magistralement fait la preuve de ce potentiel en devenant la première femme à conquérir l’Everest. Mais alors que le monde subissait le contrecoup du premier choc pétrolier et de la fin du régime de change fixe, les débats sur la stabilité économique mondiale ont souvent négligé l’autonomisation des femmes.
Junko Tabei, première femme à gravir le Mont Everest et les « sept sommets » (les plus hauts sommets du monde sur sept continents) (photo : John van Hasselt/Corbis/Getty Images)
Les temps ont bien changé et désormais, la question de l’émancipation économique des femmes est pratiquement toujours à l’ordre du jour des débats sur l’économie mondiale.
L’autonomisation économique des femmes : une question qui compte
Avant tout, c’est parce que les femmes comptent, tout simplement. Deuxièmement, c’est parce que leur participation accrue dans l’économie présente de vastes avantages pour l’ensemble de la société, c’est-à-dire les hommes, les femmes et les enfants, car elle permet de doper la croissance du PIB, d’encourager une diversification de l’économie et de lutter contre les inégalités de revenus.
Pour sa part, le FMI intègre les questions de genre dans ses conseils aux pays membres. À ce jour, nous avons achevé des consultations dans ce sens avec 22 pays, et d’autres vont suivre. Nos programmes récents, notamment avec l’Égypte, la Jordanie et le Niger, prévoient également des mesures précises destinées à donner une autonomie économique aux femmes.
Pour éclairer les débats du G7 sur l’égalité des sexes, sous la présidence italienne, le FMI a soumis un document sur la budgétisation sensible au genre dans les pays du G7 (Gender Budgeting in G7 Countries) à la réunion de ce week-end.
Ce document conclut notamment que bien que la plupart des pays du G7 soient parvenus à améliorer l’égalité entre les sexes (voir le graphique ci-dessous), il reste encore beaucoup à faire. Ainsi, dans les pays industrialisés avancés, le taux d’activité des femmes est en moyenne inférieur de 17 points de pourcentage à celui des hommes. L’écart de salaire entre les femmes et les hommes est de l’ordre de 14 %, les hommes sont presque deux fois plus nombreux que les femmes à occuper des postes d’encadrement, et près de 70 % du travail non rémunéré est effectué par des femmes.
Les budgets doivent favoriser l’égalité des sexes
Le message que je voulais faire passer aux pays du G7 est que pour progresser davantage, ils peuvent utiliser les budgets nationaux plus activement et en faire des instruments de promotion de l’égalité entre les sexes. Ainsi, dans les pays avancés, les politiques fiscales jouent un rôle important et luttent contre les mesures qui pénalisent le deuxième apporteur de revenu. Les politiques de dépenses peuvent également jouer un rôle, en favorisant par exemple les structures d’accueil des enfants. Ainsi, au Canada, une allocation pour enfants non imposable et modulée en fonction des revenus aide les familles à subvenir aux besoins de leurs enfants. Cet exemple, ainsi que d’autres, sont illustrés dans le tableau ci-dessous.
Un processus budgétaire tenant compte des questions de genre consiste à analyser les politiques et les décisions budgétaires afin de comprendre leurs conséquences – prévues ou non—sur l’égalité entre les sexes. C’est une approche applicable à tous les niveaux du cycle budgétaire.
Les pays du G7 ont certes appliqué efficacement un large arsenal de mesures budgétaires, et autres, destinées à réduire les inégalités entre les sexes, mais ils ont été moins efficaces dans la mise en place généralisée d’institutions budgétaires qui sont essentielles pour prendre en considération les politiques d’égalité des sexes.
Ainsi, seuls le Canada, la France et le Japon présentent un budget qui tient compte des questions de genre. Enfin, bien que la plupart des pays du G7 évaluent les conséquences des nouvelles politiques sur les hommes et les femmes, leurs approches et leurs méthodologies sont très diverses.
Il faut agir davantage
Que pourraient faire de plus les pays du G7 pour que leurs institutions budgétaires prennent davantage en compte les questions de genre ?
• Intégrer la problématique hommes-femmes dans le processus budgétaire. Cela doit passer par l’intégration des questions de genre dans le dialogue annuel entre les ministres sur les priorités budgétaires, et dans d’autres procédures budgétaires.
• Suivre les conséquences de l’exécution du budget de façon transparente. Il est fondamental d’impliquer le corps législatif et la société civile, et de procéder aux vérifications voulues, pour obliger à rendre des comptes.
• Des stratégies à long terme pour l’égalité des sexes doivent porter sur tous les aspects du processus budgétaire. Ainsi, il faut exploiter davantage les états budgétaires et les orientations budgétaires qui fixent les dépenses prioritaires liées à la problématique hommes-femmes, prévoir un financement adéquat à moyen terme et évaluer l’effet des politiques sur l’égalité entre les sexes.
Le FMI continuera de travailler sur ces questions dans le cadre de ses efforts plus vastes en faveur d’une croissance inclusive. À cet effet, il apporte une assistance technique à plus de 120 pays. Citons les travaux récents sur les systèmes d’information financière au Cambodge, le cadre budgétaire à moyen terme en Ukraine et l’évaluation de la transparence des finances publiques en Autriche, pour ne prendre que quelques exemples représentatifs. De plus, nous restons déterminés, dans toute la gamme de nos activités, à aider les femmes à exploiter tout leur potentiel économique.
Tout comme Junko Tabei qui a été la première femme à gravir les « sept sommets » (les plus hauts sommets du monde sur sept continents), les femmes sont nombreuses aujourd’hui à franchir de nouvelles étapes sur leur lieu de travail et dans l’économie en général, mais la route est encore longue.
J’appelle donc les dirigeants du G7 à prendre davantage en compte la problématique hommes-femmes dans les processus budgétaires afin d’encourager l’émancipation économique des femmes tout en favorisant la stabilité économique mondiale.
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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international depuis juillet 2011. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au Commerce extérieur pendant deux ans.
Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981. Une biographie plus détaillée est consultable à cette adresse.