Migrations : un problème mondial qui appelle une solution mondiale
Par Christine Lagarde, Directrice générale du FMI
Par Christine Lagarde
Affiché le 11 novembre 2015 par le blog du FMI - iMFdirect
Réunis en Turquie cette fin de semaine, les dirigeants du Groupe des vingt (G-20) auront à l’esprit les images déchirantes des populations déplacées fuyant les conflits armés ou la détresse économique. Les vagues de réfugiés de ces dernières années ont atteint des proportions que nous n’avions pas vues depuis des décennies et elles risquent de prendre encore plus d’ampleur dans un avenir proche.
La priorité immédiate est de venir en aide aux réfugiés, à ceux qui souffrent les conséquences les plus graves et sont, bien trop souvent, livrés à un sort tragique, en leur offrant un meilleur accès à un toit, à des soins de santé, à une éducation de qualité.
Beaucoup des pays qui bordent les zones de conflit — et qui ont accueilli la plupart des réfugiés —ont largement dépassé leur capacité d’accueil. Pour accroître les services publics offerts aux réfugiés, ils auront besoin de plus de ressources financières. La communauté internationale doit jouer son rôle. Par exemple, avec l’appui du FMI, la Jordanie a été en mesure d’ajuster ses objectifs budgétaires pour répondre à ce type de besoins.
Il y a lieu de féliciter les pays qui ont le plus fait pour accueillir les populations déplacées. Certains ont accepté d’ouvrir leurs frontières à d’énormes flux de réfugiés et n’ont ménagé aucun effort pour leur offrir un abri et les nourrir. D’autres, notamment parmi les pays avancés, devraient réfléchir à ce qu’ils pourraient faire pour accroître leurs capacités d’accueil.
En définitive, une chose est on ne peut plus claire : aucun pays ne pourra à lui seul gérer la crise des réfugiés. La coopération mondiale est incontournable.
Conséquences économiques des migrations
Les migrations transnationales revêtent, bien entendu, des formes différentes. Elles concernent les personnes qui sont forcées de quitter leur pays et celles qui, pour des raisons économiques, émigrent à titre volontaire pour mieux gagner leur vie. Le nombre total de migrants a sensiblement augmenté durant ces dernières années et atteint aujourd’hui plus de 3 % de la population mondiale.
Quelles que soient les raisons qui poussent au départ, la décision de quitter son pays est un choix difficile et non dénué de risques. Mais au bout du voyage, une fois les populations établies et une fois la stabilité retrouvée, les migrations peuvent — avec des politiques avisées — avoir globalement des retombées économiques positives, pour les migrants, pour leur pays d’accueil et pour leur pays d’origine (comme le signale une étude des services du FMI à paraître).
Les migrants peuvent renforcer la population active, encourager l’investissement et doper la croissance. Par exemple, d’après les calculs préliminaires du FMI, dans les pays de l’UE ils auraient un léger impact positif sur la croissance.
Qui plus est, les migrations peuvent également contribuer à attaquer les problèmes liés au vieillissement de la population dans un certain nombre de pays avancés. Nos travaux font apparaître qu’à moyen terme les migrants pourraient aider à atténuer les tensions qui pèsent sur les budgets de santé et de retraite, et à court terme l’effet budgétaire net tend à être relativement faible.
Fuite de cerveaux et envois de fonds
Qu’en est-il des pays d’origine? Il est clair qu’ils perdent souvent les populations les plus jeunes et les mieux formées, ce qui a de lourdes conséquences pour leur croissance. Cela a notamment été le cas des pays des Caraïbes, par exemple, qui ont perdu plus de 50 % de leur main-d’œuvre qualifiée entre 1965 et 2000.
Les envois de fonds aident à compenser certains de ces effets. Ils peuvent constituer une très importante source de revenu — dont on sait qu’elle conduit à une augmentation des dépenses d’éducation et de santé. En 2014, les envois de fonds vers les pays en développement ont atteint 436 milliards de dollars, c’est-à-dire plus de la moitié de l’investissement direct étranger net et bien plus du triple de l’aide publique au développement.
En outre, si les coûts de transaction sur les envois de fonds pouvaient être encore abaissés, les avantages qu’ils procurent seraient encore plus grands. On estime en effet qu’en ramenant ces coûts à 1 % du montant transféré, on pourrait économiser 30 milliards de dollars par an, ce qui représente plus de la totalité de l’aide bilatérale en faveur de l’Afrique subsaharienne! Il convient de soutenir fermement l’engagement du G-20 de réduire les coûts de transaction sur les envois de fonds.
Des politiques pour mieux intégrer les migrants
L’enjeu principal est de faciliter l’intégration ordonnée des nouveaux venus, qu’il s’agisse de migrants économiques ou de réfugiés. Bien sûr, cela ne se fera pas sans heurts et sans difficultés dans un premier temps, que ce soit sur le plan logistique, budgétaire ou politique, mais il convient de jauger ces problèmes à l’aune des avantages qui en résulteront à moyen et plus long terme. Sans doute plus facile à dire qu’à faire, mais faisable.
En quoi consiste une politique d’intégration bien conçue?
- Premièrement, à renforcer la capacité des marchés du travail d’absorber les migrants — en permettant immédiatement à ces derniers de chercher du travail et en fournissant de meilleurs services pour mettre en rapport les offres et les demandes d’emploi.
- Deuxièmement, à améliorer l’accès à l’éducation et à la formation — en offrant un enseignement, des cours de langue et une formation professionnelle qui soient abordables.
- Troisièmement, à mieux reconnaître les compétences — en adoptant des procédures simples, abordables et transparentes pour reconnaître les qualifications acquises à l’étranger.
- Enfin, à soutenir l’esprit d’entreprise chez les migrants — en réduisant les obstacles à la création d’entreprise et en apportant un soutien sous forme d’assistance juridique, de conseil et de formation.
En Suède, par exemple, un programme mis en place pour les réfugiés offre une préparation à l’emploi et des cours de langue pendant 24 mois, ainsi que des prestations financières. Ce programme commence d’ores et déjà à aider la dernière vague de réfugiés à trouver des emplois — même s’il faudra bien sûr un certain temps pour qu’il produise tous ses effets.
Un appel mondial
Les forces démographiques, la mondialisation et la dégradation de l’environnement signifient que, selon toute vraisemblance, les pressions migratoires à travers les frontières vont s’accentuer au cours des décennies à venir. Et les défis transnationaux appellent des solutions transnationales.
Les efforts déployés au niveau mondial par les pouvoirs publics doivent donc être centrés sur une amélioration de la coopération et du dialogue entre les pays concernés. Il s’agit en particulier d’encourager une juste répartition des charges, de faciliter les envois de fonds, de protéger les droits des travailleurs et de promouvoir un environnement du travail à la fois sûr et stable pour les migrants.
Le FMI apportera aussi sa contribution, notamment par son financement et ses activités de renforcement des capacités. En outre, au cours des prochains mois, notre analyse de cette question sera prise en compte dans les conseils que nous donnerons aux pays d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient qui ont à gérer des mouvements massifs de population.
Les migrations sont un problème mondial. Nous devons tous nous entraider pour y répondre.