Agir au niveau local pour trouver une solution à l’échelle mondiale : le problème des 5,300 milliards de dollars de subventions énergétiques

Par Benedict Clements et Vitor Gaspar

Le 18 mai 2015

5.300 milliards de dollars, ou 6½ % du PIB : il s’agit de notre dernière estimation du coût des subventions énergétiques en 2015. Ces chiffres sont énormes. Ils dépassent probablement les dépenses publiques consacrées à la santé dans le monde entier, estimées à 6 % du PIB mondial par l’Organisation mondiale de la santé, mais pour 2013. Ils constituent l’un des effets externes négatifs les plus marqués jamais estimés. Ils ont une portée mondiale. Et ce n’est pas tout : une étude antérieure du FMI montre aussi que ces subventions ont des effets négatifs sur l’efficience économique, la croissance et les inégalités.

Subventions énergétiques : de quoi s’agit-il ?

Nous définissons les subventions énergétiques comme étant la différence entre ce que les consommateurs payent pour leur énergie et son « coût véritable », plus la taxe sur la valeur ajoutée ou la taxe sur les ventes normale d’un pays. Ce « coût véritable » de la consommation d’énergie inclut le coût d’approvisionnement et les effets nocifs de la consommation d’énergie sur les populations et l’environnement. Il s’agit des émissions de carbone et donc du réchauffement planétaire, des conséquences de la pollution atmosphérique sur la santé, ainsi que des embouteillages, des accidents et des dégâts causés aux routes. Comme l’indique le graphique 1, la plupart de ces effets externes sont supportés par les populations locales : la composante des subventions énergétiques relatives au réchauffement monétaire ne représente qu’un quart du total.

Les subventions énergétiques sont à la fois élevées et très répandues. Elles sont omniprésentes dans les pays avancés et les pays en développement. Les pays émergents d’Asie représentent environ la moitié du total, et les pays avancés environ un quart (graphique 2). En valeur absolue, les subventions sont les plus élevées en Chine (2.300 milliards de dollars), aux États-Unis (699 milliards de dollars), en Russie (335 milliards de dollars), en Inde (277 milliards de dollars) et au Japon (157 milliards de dollars). Dans l’Union européenne, les subventions sont considérables aussi (330 milliards de dollars).

Plus élevées que les estimations antérieures

Les chiffres pour 2015 sont plus du double de notre estimation précédente pour 2011, à savoir 2.000 milliards de dollars. Plus de la moitié de cette augmentation s’explique par des données nationales plus précises en ce qui concerne les effets nocifs de la consommation d’énergie sur la qualité de l’air et la santé. Dans un autre blog, nos collègues Sanjeev Gupta et Michael Keen expliquent plus en détail les différences entre les estimations. Dans un document de travail du FMI, David Coady et al. présentent un examen technique de nos estimations.

Si le niveau élevé de nos nouvelles estimations est peut-être surprenant, il est important de bien comprendre combien de problèmes de santé sont liés à la consommation d’énergie à la qualité de l’air. En Chine uniquement, l’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution atmosphérique, causée notamment par la combustion de carburants polluants, en particulier le charbon, provoque plus d’un million de décès prématurés par an.

Beaucoup de pays ont accompli des progrès considérables en ce qui concerne les subventions énergétiques. Récemment, plusieurs pays ont réduit l’écart entre les prix intérieurs et les prix internationaux, ce qui a fait baisser les dépenses consacrées aux subventions de 190 milliards de dollars entre 2011 et 2015. Parmi les pays qui ont réformé leurs subventions figurent l’Angola, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, la Jordanie, la Malaisie, la Mauritanie, le Mexique, le Maroc, le Soudan, la Thaïlande, la Tunisie et le Yémen. Comme nous l’avons indiqué dans un blog précédent (Cours du pétrole et finances publiques : une arme à double tranchant), la baisse des prix du pétrole offre une occasion en or de continuer de réformer les subventions énergétiques.

L’expérience récente de l’Inde est instructive. En octobre 2014, les prix du diesel ont été totalement libéralisés, après une réforme progressive des subventions. Les autorités ont cherché aussi à limiter le coût des subventions aux gaz de pétrole liquéfiés, notamment en étendant à l’ensemble du pays, en janvier 2015, un système de prestations en espèces directes qui remplace l’accès aux gaz de pétrole liquéfiés subventionnés. Cette réforme permet de protéger les ménages à faible revenu, tout en réduisant le coût budgétaire des subventions.

Fixer les prix de l’énergie à un niveau approprié

En dépit des réformes opérées dans de nombreux pays, les prix de l’énergie restent largement en deçà des niveaux qui correspondent à leur coût véritable. Faut-il attendre une solution à l’échelle mondiale pour résoudre ce problème ?

Le FMI affirme depuis longtemps qu’en fixant les prix de l’énergie à un niveau approprié, les pays pourront plus facilement atteindre leurs objectifs non seulement sur le plan de l’environnement, mais aussi en ce qui concerne le partage des bienfaits de la croissance et la bonne santé des finances publiques. Un relèvement progressif et prévisible des prix de l’énergie, qui les porteraient à un niveau correspondant à leur coût véritable, permettrait de réaliser des gains budgétaires voisins de 3 ½ % du PIB. Ces gains sont inférieurs au montant total des subventions (6 ½ % du PIB) parce qu’une hausse des prix ferait diminuer la consommation d’énergie.

Les gains budgétaires résultant d’une réforme des subventions sont considérables et pourraient modifier la politique budgétaire de nombreux pays, qui pourraient ainsi, entre autres, réduire certains types d’impôts (par exemple sur le travail) qui pèsent sur la croissance, accroître les dépenses propices à la croissance (par exemple dans les infrastructures, la santé et l’éducation) et financer des transferts monétaires ciblés en faveur des pauvres. Par ailleurs, cela créerait des incitations appropriées à investir dans les technologies vertes parce que les prix de l’énergie sale ne seraient plus maintenus artificiellement à un bas niveau.

La cerise sur le gâteau, c’est que les populations locales seraient de loin les principales bénéficiaires d’une réforme des subventions, par exemple d’une diminution de la pollution.

Lancer le processus aujourd’hui, au niveau national

Même si elle est motivée exclusivement par des considérations nationales, une réforme des subventions énergétiques aurait des effets favorables à l’échelle mondiale. Prenons par exemple le cas de pays qui relèvent leurs prix uniquement en tenant compte de facteurs nationaux, c’est-à-dire sans prendre en considération le réchauffement climatique : cela contribuerait néanmoins à réduire les émissions mondiales de carbone d’environ 17 %.

Les conditions sont en place pour engager résolument une réforme de la fiscalité de l’énergie et des subventions énergétiques, d’autant que les prix internationaux du pétrole ont diminué et que l’inflation est basse. Les mesures prises au niveau national seraient utiles pour accomplir des progrès au niveau mondial en vue du sommet sur les changements climatiques qui se déroulera à Paris à la fin de l’année.

Les implications budgétaires sont gigantesques : en totalisant 5.300 milliards de dollars, les subventions énergétiques sont supérieures aux dépenses publiques de santé dans le monde entier. Elles dépassent aussi le total mondial des dépenses publiques d’investissement. Les ressources qui seraient dégagées grâce à une réforme des subventions pourraient être utilisées pour satisfaire des besoins essentiels de dépenses publiques ou réduire les impôts qui étouffent la croissance économique.

En agissant au niveau local, et en servant au mieux leurs propres intérêts, les dirigeants peuvent contribuer largement à résoudre un problème mondial. La voie à suivre est donc claire : agir au niveau local pour trouver une solution à l’échelle mondiale.

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Benedict Clements
est chef de la Division politique et surveillance des finances publiques du Département des finances publiques du FMI. Il a occupé auparavant les fonctions de chef de la Division politique des dépenses publiques de ce département et de chef de division au Département Hémisphère occidental, où il a dirigé les équipes chargées du Brésil et de la Colombie. Il est l’auteur de plusieurs études sur les finances publiques et des questions macroéconomiques.


Vitor Gaspar
, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé plusieurs postes d’encadrement supérieur à la Banque du Portugal, notamment le plus récemment celui de conseiller spécial. Il a été Ministre d’État et des finances du Portugal entre 2011 et 2013. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar détient un doctorat et un diplôme postdoctoral en économie de la Universidade Nova de Lisboa; il a étudié aussi à la Universidade Católica Portuguesa.



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