Canada : comment accroître la résilience du secteur financier
Par Hamid Faruqee et Andrea PescatoriAffiché le 9 mars 2015 par le blog du FMI - iMFdirect
Le système financier canadien a remarquablement surmonté la crise financière de 2008, suscitant l’envie des autres pays du Groupe des Sept. Cette résilience était d’autant plus impressionnante que les États-Unis, principal partenaire commercial et financier du Canada, étaient à l’épicentre de la crise.
La bonne tenue du système bancaire canadien tient au fait qu’il est dominé par un petit nombre de gros établissements bien capitalisés et dotés d’un modèle d’entreprise sûr, prudent et rentable centré sur les prêts hypothécaires, en grande partie couverts par des assurances et avec la garantie de l’État fédéral. En dépit de la solidité et des antécédents enviables du système financier, il convient de surveiller certains risques.
Risques à surveiller
Le récent rapport des services du FMI sur l’économie canadienne signale quelques préoccupations liées à la forte chute des cours du pétrole. Les deux principaux facteurs de vulnérabilité interne sont la surchauffe du marché immobilier et l’endettement élevé des ménages.
Bien que l’endettement des ménages semble s’être stabilisé dernièrement, il a atteint des sommets sans précédent au cours de la dernière décennie, dépassant 150 % du revenu disponible, soit le taux le plus élevé parmi les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Parallèlement, les prix immobiliers ont augmenté de plus de 60 % pour l’ensemble du pays depuis 2000. Les hausses ont été particulièrement sensibles dans les grandes métropoles, dont Toronto, Calgary et Vancouver, cette dernière se classant au deuxième rang mondial des villes les plus chères, après Hong Kong. Mais face à la dégradation des termes de l’échange, au ralentissement de la croissance et aux perspectives de remontée des taux d’intérêts américains, le marché immobilier surévalué du Canada pourrait se calmer. Par exemple, il y a eu récemment des signes de hausse sensible du ratio inscriptions/ventes de logement en Alberta, et il faudra être attentif au risque d’atterrissage brutal.
Depuis plusieurs années, le Canada multiplie les efforts pour réduire les vulnérabilités de son économie par des mesures visant à préserver la solidité des établissements financiers et du système financier dans son ensemble.
Le ralentissement de l’expansion du crédit hypothécaire et l’amélioration de la qualité des emprunteurs, par exemple, semblent être la conséquence directe d’un encadrement plus strict des prêts hypothécaires assurés (raccourcissement de la période d’amortissement, relèvement de l’apport personnel et plafonnement des prix des logements).
Ces mesures n’ont peut-être réussi qu’en partie à contenir l’expansion du crédit. Il est possible que l’importance grandissante des prêts hypothécaires non assurés soit le signe de «déperditions» du durcissement de la réglementation financière canadienne, problème couramment observé dans les pays qui mettent en place un dispositif plus rigoureux. Ces crédits dont le ratio de quotité est inférieur à 80 % ne sont pas soumis aux mêmes règles restrictives. Ils constituent maintenant le plus gros des prêts hypothécaires et contribuent à alimenter la demande de logements. Par exemple, le renchérissement de l’immobilier — surtout des maisons individuelles — sur les marchés en forte croissance semble être lié aux prêts hypothécaires non assurés. Si les risques financiers recommencent à augmenter, il faudra sans doute que les autorités durcissent les règles qui s’appliquent à ces prêts.
À terme, le Canada aurait aussi avantage à réformer le rôle de l’État dans l’assurance des crédits hypothécaires et à réduire l’exposition des contribuables aux risques qui en découlent. Limiter la caution de l’État fédéral permettrait de faire assumer par le secteur privé une plus grande part des risques et encouragerait une attitude plus prudente. Cependant, comme le système est actuellement tributaire des prêts hypothécaires assurés, il faudrait une réforme progressive afin d’encourager le secteur privé à s’impliquer de plus en plus au fur et à mesure d’un repli du secteur public.
Imbriquer les pièces
Que peut faire d’autre le Canada pour accroître la résilience du système financier?
De manière plus générale, il importe de renforcer le dispositif institutionnel pour préserver la bonne santé du système financier dans son ensemble. Un débat salutaire s’est d’ailleurs instauré sur la meilleure stratégie pour y parvenir. Si la coopération informelle entre principaux organismes a donné de bons résultats durant la crise, les chocs à venir prendront inévitablement une autre forme. Du point de vue du FMI, il serait bon pour accroître la résilience face aux chocs futurs de disposer déjà de dispositifs robustes assortis de relations plus formelles.
Deux grands axes méritent d’être envisagés.
Premièrement, confier à une seule et même entité la charge de la supervision macroprudentielle de l’ensemble du système financier afin d’en renforcer la responsabilisation et de faire en sorte que les décideurs soient mieux à même de détecter les crises et d’y faire face. Cette entité devrait avoir un champ d’action suffisamment vaste pour être en mesure d’imbriquer les différentes pièces et d’acquérir une vision complète et intégrée des risques systémiques, en disposant des pouvoirs voulus pour recueillir les données nécessaires.
Deuxièmement, mettre en place un système de coordination à l’appui d’une prise de décision rapide et pour tester les capacités de réaction des autorités fédérales et provinciales face à des scénarios de crise, afin d’améliorer l’état de préparation. Le développement de dispositifs et systèmes institutionnels selon ces principes renforcerait à la fois les capacités et la volonté de réaction, surtout face à des tensions financières, ainsi que le système financier et l’économie du Canada.
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Hamid Faruqee a rejoint le Fonds monétaire international (FMI) en 1993. Il est actuellement Chef de la Division de la surveillance multilatérale du Département des études, et couvre à ce titre le travail lié au Groupe des Vingt et notamment l’appui technique au Processus d’évaluation mutuelle (PEM). Il dirige en outre le groupe de travail chargé de l’établissement du Spillover Report du FMI de 2014. Hamid a précédemment été en poste au Département Europe et dans d’autres divisions du Département des études, où il s’est notamment concentrée sur les Consultations multilatérales relatives aux déséquilibres mondiaux, ainsi que sur les consultations au titre de l’Article IV dans la zone euro. Avant de rejoindre le FMI, il était maître de conférences à la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs et il a reçu son doctorat en économie à l’Université de Princeton en 1994. Hamid a dirigé la publication d’un récent ouvrage publié en 2013 par le FMI, intitulé Global Rebalancing: a Roadmap for Economic Recovery. Il a aussi publié en 2010 (avec Olivier Blanchard) dans la revue Brookings Papers on Economic Activity un article sur les effets de la crise dans les pays émergents. Hamid a aussi mené de nombreuses études et publié dans des revues universitaires de multiples articles sur la dynamique et l’incidence des taux de change.
Andrea Pescatori est Économiste au Département des études du FMI. Ses principaux champs d’études sont la politique monétaire et budgétaire et les prix des matières premières. Il a publié divers articles dans le Journal of Money Credit and Banking, la série IMF Staff Papers, l’Economic Journal et le Journal of European Economic Association. Avant d’entrer au FMI, il a été chargé de recherches à l’Ente Einaudi (Banque d’Italie), Économiste à la Banque de réserve fédérale de Cleveland et Économiste invité à la division des finances internationales du Conseil des gouverneurs du Système de réserve fédérale. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’Universitat Pompeu Fabra (Barcelone, Espagne).