Zone euro — Questions-réponses à propos de l’assouplissement quantitatif
Par Reza Moghadam et Ranjit TejaAffiché le 14 juillet 2014 par le blog du FMI - iMFdirect
À l’heure où l’inflation est en repli dans la zone euro, on parle de plus en plus — non sans réserves — de l’assouplissement quantitatif. Certains pensent qu’il n’est pas nécessaire, d’autres qu’il ne fonctionnerait pas, et d’autres encore qu’il ne fait qu’alimenter des bulles spéculatives, voire qu’il serait «illégal». Le dernier rapport du FMI sur la zone euro donne une évaluation positive des mesures mises en œuvre, mais ajoute que «… si le taux d'inflation reste trop faible, la BCE devrait envisager d’accroître sensiblement son bilan, y compris par le biais d’achats d’actifs». Compte tenu de toutes ces réserves, le jeu en vaudrait-il la chandelle?
Q1. Qu’entend-on par assouplissement quantitatif et en quoi différerait-il des autres techniques d’expansion du bilan de la BCE?
R1. En substance, l’assouplissement quantitatif consiste à accroître sensiblement le bilan d’une banque centrale, ce que toutes les grandes banques centrales ont fait depuis le début de la crise. Sur fond de baisse des financements de gros, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé en 2012 un programme d’opérations de refinancement à long terme (LTRO) à 3 ans, ce qui lui a permis d’accroître considérablement la base monétaire en offrant aux banques des financements en échange de garanties dites éligibles, dans l’espoir que la certitude d’un financement stable pour plusieurs années permettrait de relancer le crédit bancaire et de soutenir l’activité.
Les inquiétudes au sujet des liquidités et des financements stables ne se sont pas dissipées, mais se sont apaisées — suffisamment pour inciter les banques, désireuses de se déclarer en bonne santé, à commencer à rembourser par anticipation les fonds empruntés dans le cadre des LTRO. Cela a presque réduit à néant l’expansion initiale de la base monétaire. Globalement, les LTRO ont évité le pire, mais elles n’ont pas vraiment relancé le crédit privé et la masse monétaire au sens large.
L’assouplissement quantitatif se distinguerait des techniques d’expansion de type LTRO en ce sens que la BCE : 1) effectuerait des achats fermes d’actifs à plus long terme (plus de 3 ans), dont les effets sur les taux d’intérêt, les prix des actifs et les dépenses seraient plus vastes; 2) augmenterait la taille de son bilan de son propre chef (et non à la demande de banques ou d’autres parties) et (3) continuerait ces achats jusqu’à ce que l’objectif d’inflation soit atteint.
Q2. Quels actifs la BCE achèterait-elle — publics ou privé, des pays du centre ou de la périphérie?
R2. Pour le moment, il y a trop peu d’actifs privés liquides pour alimenter l’assouplissement quantitatif. Le marché des actifs bancaires titrisés est peu développé, de même que celui des obligations d’entreprises. Les obligations bancaires sont abondantes et liquides, mais concentrées. Les banques centrales se hasardent rarement à acheter des actions. La seule solution viable qui subsiste est donc celle des obligations souveraines. (Il serait souhaitable de développer les marchés des actifs titrisés tels que les prêts hypothécaires et les prêts aux PME; l’impulsion nécessaire pourrait être donnée par le seul fait de l’instauration de l’assouplissement quantitatif.)
La BCE devrait acheter des actifs dans l’ensemble de la zone et pas seulement dans les pays du centre ou de la périphérie car le problème de l’inflation faible est généralisé. Tant que la BCE achète des obligations souveraines dans l’accomplissement de sa mission et sans visées budgétaires (en achetant en toute neutralité des obligations de tous les pays, en fonction de leur part du capital de la banque centrale), elle peut rejeter l’accusation souvent brandie, à savoir que l’assouplissement quantitatif brave l’interdiction du «financement monétaire des déficits budgétaires».
Q3. Comment l’assouplissement quantitatif fonctionnerait-il?
R3. L’assouplissement quantitatif n’est pas une panacée et ne dispense pas d’effectuer les réformes nécessaires. Mais il peut relancer l’inflation en stimulant la consommation et l’investissement dans l’ensemble de la zone euro, et soutenir cette tendance en réamorçant l’offre et la demande de crédit bancaire. Comment?
Pour commencer, les anticipations de croissance et d’inflation seraient orientées à la hausse du fait que la BCE annonce sa volonté d’atteindre son objectif d’inflation. L’annonce récente des Opérations monétaires sur titres par la BCE a démontré l’efficacité d’un message indiquant que la BCE est prête à tout. La demande courante et les prix des actifs augmenteraient aussi à la perspective de la baisse des taux d’intérêt réels (car l’assouplissement quantitatif entraîne une baisse des taux d’intérêt nominaux et une hausse des anticipations inflationnistes).
L’assouplissement quantitatif produirait aussi d’importants effets de valorisation. L’achat d’obligations souveraines par la BCE en fait automatiquement augmenter le prix. Les vendeurs — banques, fonds de pension, gérants d’actifs — devraient reconstituer leurs portefeuilles au moyen d’autres actifs à long terme, d’où, à terme, une augmentation généralisée des prix des actifs. Les cours des actions européennes, par exemple, sont encore très inférieurs à leurs niveaux d’avant la crise.
La valorisation des actifs ne se limiterait pas à l’effet de richesse habituel :
● Patrimoine des ménages et bilans des entreprises. Avant la crise, le surcroît d’endettement servait à financer l’achat d’un logement ou d’autres actifs dont la valeur s’est effondrée par la suite. Depuis, les ménages et les entreprises ont réduit leur consommation et leurs investissements pour rembourser leurs dettes. Ce repli financier est illustré par les graphiques qui suivent, qui décrivent la relation entre la tension financière de l’avant-crise (indice du niveau et de la croissance de l’endettement) et la contraction de la demande de l’après-crise. La hausse de la valeur des actifs engendrée par l’assouplissement quantitatif et le moindre coût de l’endettement peuvent inverser cette dynamique.
● Offre de crédit bancaire. Les obligations souveraines sont détenues en majorité par des banques. La hausse des cours des obligations financières revalorise les banques — ou plutôt leur capital. (Petit calcul rapide : une baisse de 50 points de base des taux de rendement à long terme pourrait accroître le ratio des fonds propres de première catégorie des banques de 1½ point). De plus, la hausse des prix des actifs privés signifie que les garanties fournies par les ménages et les entreprises ont plus de valeur. Tout cela fait que les banques sont plus désireuses et capables de consentir des prêts.
● Demande de crédit bancaire. La hausse de la demande globale engendrée par l’accroissement de la valeur des actifs et l’amélioration des prévisions de croissance ferait augmenter la demande de crédit. À la différence des autres mesures prises par la BCE, l’assouplissement quantitatif a aussi pour effet de relancer la demande de crédit.
Q4. L’assouplissement quantitatif peut-il être efficace si les taux d’intérêt sont déjà bas et si le système repose sur les banques?
R4. Comme déjà indiqué, l’assouplissement quantitatif fonctionne aussi par l’intermédiaire des banques. Il a marché au Japon, où le système financier est presque aussi bancarisé qu’en Europe (83 % et 89 %, respectivement). Et les taux d’intérêt étaient encore plus bas lorsque la banque centrale a lancé son programme d’assouplissement qualitatif et quantitatif (QQE) l’an dernier. Il y a plus de marge de baisse de la courbe des taux en Europe qu’il n’y en avait au Japon. Une baisse de 50 points de base des rendements européens aux échéances intermédiaires, et plus prononcée à plus long terme, est tout à fait plausible.
Q5. Alors pourquoi la BCE n’a-t-elle pas sauté le pas de l’assouplissement quantitatif?
R5. La BCE a expliqué clairement qu’elle est prête à recourir à des mesures non conventionnelles, mais que les circonstances ne justifient pas encore l’assouplissement quantitatif. Et il est certain que la BCE n’aurait rien à gagner si elle n’agissait pas avec une totale conviction. L’assouplissement quantitatif tenté par la Banque du Japon au début des années 2000 a été stoppé prématurément (avant que l’inflation et les anticipations inflationnistes aient augmenté durablement), tandis que celui de 2010-12 a été mis en œuvre de manière trop timide (par petits pas, et sans relation claire avec un objectif d’inflation). Par contre, sa stratégie d’assouplissement quantitatif et qualitatif depuis 2013 est jusqu’au-boutiste, avec des objectifs et un calendrier précis, et a induit une forte réaction des anticipations inflationnistes.
Q6. Quid des effets secondaires — bulles d’actifs et dépréciation monétaire?
R6. L’assouplissement quantitatif incitera les banques et les autres acteurs économiques à délaisser les investissements sûrs que sont les obligations d’État pour prêter au reste de l’économie. C’est plus risqué, mais c’est aussi le but. La prise de risques et l’expansion du crédit pourraient certes augmenter de manière excessive, mais ce n’est pas un danger immédiat, certainement pas en comparaison de celui que représente une inflation trop faible. Jusqu’à présent le crédit est encore en phase de contraction dans la zone euro (à peine positif, même en Allemagne) et il n’y a aucun signe de bulles du logement ou des actifs (pas même en Allemagne). Si des bulles éclatent, des mesures macroprudentielles ciblées, qui demandent à être précisées, pourront être déployées.
Sur le plan monétaire, l’assouplissement quantitatif affaiblirait sans doute l’euro. Dans la mesure où cela ferait augmenter la demande et les prix des biens échangés, cela aiderait à lutter contre le danger de l’inflation faible. Cela pourrait être un levier important. Mais la dépréciation n’est pas inévitable : la hausse des prix des actifs ou l’amélioration des perspectives économiques dues à l’assouplissement quantitatif pourrait attirer les flux de capitaux et favoriser l’appréciation de l’euro.
Avec nos remerciements à Petya Koeva Brooks, Pelin Berkmen et Ali Al-Eyd pour leur contribution à ce billet.
Notices biographiques :
Reza Moghadam est Directeur du Département Europe du FMI. Il dirigeait précédemment le Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation et, avant cela, le cabinet du Directeur général. Il a travaillé sur un large éventail de dossiers de stratégie et de politique générale, de pays et de questions administratives et il a occupé divers postes de responsabilité au Département Europe et au Département Asie-Pacifique.
Ranjit Teja est Directeur adjoint du Département Europe, où il supervise les travaux sur un certain nombre de pays de la zone euro et l’intégration des analyses transnationales au travail du département. Ces dernières années, il a piloté diverses initiatives comparables à l’échelle du FMI, telles que le Rapport sur les effets de contagion, l’Exercice d’alerte avancée, et le travail visant à renforcer la surveillance, les mécanismes de prêt et la gouvernance du FMI.