Amélioration dans les pays avancés et fléchissement dans les pays émergents
Par Olivier Blanchard, Conseiller économique et Directeur, Département des études, FMIiMFdirect" Le 09 octobre 2013
La situation budgétaire aux États-Unis, et ses implications potentielles, est probablement la question qui attire le plus d’attention actuellement.
Si la suspension des services publics et le plafond de la dette sont au centre des préoccupations, il ne faut pas oublier la procédure de réduction automatique des dépenses, qui conduit à un assainissement des finances publiques cette année qui est à la fois trop marqué et trop arbitraire. La suspension des services publics est une mauvaise chose aussi, même si, si elle ne dure pas trop longtemps, ses conséquences économiques seront limitées.
Cependant, si le plafond de la dette n’était pas relevé, ce serait tout différent. Si la situation se prolongeait, cela entraînerait un assainissement extrême des finances publiques, qui ferait sans aucun doute dérailler la reprise américaine. Mais les effets d’un défaut de paiement de la dette se feraient sentir immédiatement, avec peut-être des perturbations majeures sur les marchés financiers, tant aux États-Unis qu’à l’étranger. Nous considérons qu’il s’agit d’un risque extrême, dont la probabilité est faible, mais, s’il devait se matérialiser, les conséquences seraient importantes.
Transition et tensions
Les risques budgétaires aux États-Unis, aussi préoccupants soient-ils, ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue la situation globale. Au-delà des nouvelles quotidiennes, l’économie mondiale est entrée dans une nouvelle période de transition. Dans les pays avancés, l’activité s’affermit lentement, plus ou moins comme prévu. Par ailleurs, dans les pays émergents, elle ralentit, et ce davantage que nous ne l’avions prévu en juillet.
Je vous donne quelques chiffres. Nous prévoyons que la croissance dans les pays avancés atteindra 1,2 % cette année et 2,0 % l’an prochain, comme prévu en juillet. Dans les pays émergents et les pays en développement, la croissance devrait atteindre 4,5 % cette année et 5,1 % l’an prochain, soit une révision à la baisse de 0,5 point et de 0,4 point, respectivement, par rapport à nos prévisions de juillet.
Ces deux tendances entraînent des tensions : les pays émergents sont confrontés à un ralentissement de la croissance et à un changement des conditions financières mondiales.
Lente amélioration dans les pays avancés
Commençons par les États-Unis. La demande privée reste vigoureuse, et si l’on suppose que les accidents budgétaires seront évités (c’est l’hypothèse sur laquelle nos prévisions sont fondées), la reprise devrait s’affermir. Il est temps de prévoir un abandon des mesures d’assouplissement monétaire quantitatif et des taux directeurs nuls, mais pas encore de passer à l’acte. Il n'y a pas de questions conceptuelles ou techniques majeures, mais les problèmes de communication auxquels la Réserve fédérale est confrontée sont nouveaux et délicats. Il est raisonnable de s'attendre à une certaine volatilité des taux à long terme.
Au Japon, la reprise se poursuit, mais pour la maintenir, il faudra que les « Abenomics » agissent sur deux fronts importants. Le premier, qui se reflète dans le débat sur le relèvement de la taxe à la consommation, consiste à bien rythmer l'assainissement des finances publiques : un assainissement trop lent compromettra la crédibilité et un assainissement trop rapide tuera la croissance. Deuxièmement, il s'agit de mettre en œuvre un ensemble crédible de réformes structurelles pour transformer ce qui est maintenant une reprise conjoncturelle en croissance soutenue.
En Europe, des signes de reprise apparaissent enfin dans les pays du cœur de la zone euro. C'est le résultat non pas de changements majeurs apportés à la politique économique, mais bien d'un changement d'état d'esprit, qui pourrait cependant être en partie auto-producteur. Les pays de la périphérie du Sud de éprouvent encore des difficultés : les progrès accomplis en matière de compétitivité et d’exportation ne sont pas encore suffisants pour compenser la baisse de la demande intérieure. Tant dans les pays du cœur que de la périphérie de la zone euro, l’incertitude persiste en ce qui concerne les bilans des banques : elle devrait être réduite par la revue de la qualité des actifs bancaires qui a été promise. Dans une perspective à plus long terme, comme pour le Japon, il est urgent d'opérer des réformes structurelles pour dynamiser les taux anémiques de croissance potentielle de la région.
Fléchissement dans les pays émergents
Aujourd’hui, les nouvelles principales nous viennent des pays émergents, où la croissance a ralenti, et ce, souvent plus que nous ne l’avions prévu en juillet.
La question qui se pose à l'évidence est de savoir si ce ralentissement tient à des facteurs conjoncturels ou à une baisse de la croissance de la production potentielle. Sur la base de ce que nous savons aujourd'hui, c’est l’un et l’autre. Une conjoncture mondiale exceptionnellement favorable, avec notamment des cours élevés des produits de base et de bonnes conditions financières mondiales, a rehaussé la croissance potentielle dans les années 2000, et, dans un certain nombre de ces pays, une composante conjoncturelle est venue s'ajouter. Comme les cours des produits de base se stabilisent et que les conditions financières se durcissent, la croissance potentielle est plus faible, une tendance qui, dans certains cas, est accentuée par un ajustement conjoncturel considérable.
En conséquence, la tâche des gouvernements dans les pays émergents est double : s’ajuster à une croissance potentielle plus faible et, si nécessaire, faire face à l’ajustement conjoncturel.
En ce qui concerne le premier point, si un ralentissement de la croissance par rapport aux années 2000 est inévitable, des réformes structurelles peuvent être utiles et deviennent plus urgentes. La liste de ces réformes est connue : elle va d’un rééquilibrage qui fait plus large place à la consommation en Chine à l’élimination des obstacles l’investissement au Brésil et en Inde. Pour ce qui est du second point, le conseil standard est d’application aussi : les pays qui affichent un déficit budgétaire élevé doivent assainir. Les pays où l'inflation est systématiquement supérieure à l'objectif fixé doivent durcir leur politique et, c'est souvent plus important, mettre en place un cadre de politique monétaire plus crédible.
La hausse des taux longs américains rend ce conseil encore plus important. La normalisation des taux d'intérêt dans les pays avancés entraînera probablement une inversion partielle des flux de capitaux. Tandis que les investisseurs rapatrient leurs fonds, les pays dont la position budgétaire est plus fragile ou l'inflation plus élevée sont particulièrement exposés.
La riposte appropriée est double pour les pays émergents. Premièrement, si nécessaire, ils doivent mettre de l'ordre sur le plan macroéconomique, clarifier leur cadre de politique monétaire et préserver la viabilité de leurs finances publiques. Deuxièmement, ils doivent laisser leur monnaie se déprécier en réaction aux sorties de capitaux. Les engagements extérieurs en devises, qui ont eu des répercussions négatives par le passé, sont plus limités aujourd'hui, et les pays émergents devraient être en mesure de s'ajuster à ce nouvel environnement sans crise majeure.
Je n’ai pas parlé des pays à faible revenu. La bonne nouvelle, c’est qu’ils restent très résilients de manière générale. Néanmoins, ils seront aussi confrontés à un environnement plus défavorable à terme.
Bref, la reprise se poursuit, quoique trop lentement. Si les pays émergents sont aujourd’hui au centre des préoccupations, d'autres séquelles de la crise persistent et les pays avancés ne sont pas sortis l’affaire. La dette publique et, dans certains cas, la dette privée restent très élevées, et la viabilité des finances publiques n'est pas acquise. L'architecture du système financier continue d’évoluer, et sa forme et sa solidité futures restent incertaines. Le chômage demeure trop élevé. Ces questions resteront cruciales pendant de nombreuses années.