Le chat perché et autres considérations: repenser la politique macroéconomique
Blog de George A. Akerlof, Université de Californie, BerkeleyAffiché le 1er mai 2013 par le blog du FMI - "iMFdirect"
Chercheur résident principal au FMI, et co-organisateur de la conférence « Repenser la politique macroéconomique II: premières étapes et premiers enseignements »
Je tire de multiples enseignements de cette conférence et suis très reconnaissant à tous les orateurs. Ai-je une vue d’ensemble de la situation? J’ignore si l’image que j’ai sera utile à quiconque, mais elle est à mes yeux celle d’un chat qui vient de grimper tout en haut d’un arbre géant. Le voilà tout en haut, et à notre grand désespoir, il y reste perché. Ce chat est, bien sûr, la métaphore de la crise profonde que nous vivons.
Et tous les participants se sont ingéniés à donner leurs avis sur ce que nous devions faire de ce stupide chat, sur la manière de le faire descendre, sur la façon de s’y prendre. Ce que je trouve si extraordinaire dans cette conférence, c’est que chacun a sa propre image du chat et que personne n’est d’accord, bien que parfois, les idées se rejoignent. Voilà l’image que je garde de nos travaux.
Je trouve ce débat fort utile car chacun exprime son opinion sur le chat à partir de sa propre perspective, et chaque opinion se défend. La mienne est que ce pauvre chat se retrouve tout en haut de l’arbre, qu’il va tomber et que nous ne savons que faire.
Je vais donc vous livrer mon propre point de vue sur la crise et sur les résultats que nous avons obtenus avec le chat. Mon angle d’approche est quelque peu différent de toutes les opinions exprimées de façon relativement systématique à partir de diverses perspectives.
Je vais axer mon propos sur la situation des Etats-Unis après la crise, même si l’analyse s’applique à l’échelle internationale. Un excellent document publié par Oscar Jorda, Morris Schularick et Alan Taylor, analyse les récessions de 14 pays développés entre 1870 et 2008, en les classant en deux catégories : récessions financières et récessions normales. Les auteurs ont analysé les variations d’intensité de la reprise du PIB, en fonction du ratio de l’encours de crédit sur le PIB durant la période de prospérité précédant la crise. Et leur hypothèse est nettement confirmée : non seulement les récessions financières sont plus profondes et suivies d’une reprise plus lente que les récessions normales, mais la reprise est d’autant plus lente que le ratio encours de crédits / PIB est élevé.
Tel est le passé.
Comment relier ces constats à la crise actuelle? Curieusement, tout dépend de la façon de mesurer l’encours de crédits. Si l’encours de crédits est mesuré en fonction des prêts bancaires au secteur privé, la reprise aux Etats-Unis est supérieure d’environ 1% du PIB à la reprise moyenne observée après une récession financière. Si en outre, l’encours de crédits inclut les prêts octroyés par le système bancaire parallèle, la reprise est supérieure d’environ 4% à la reprise moyenne après récession financière, comme le montrent les graphiques du document susmentionné.
MAIS
Avec l’apparition des produits financiers dérivés, nous sommes perdus pour mesurer le « crédit ». Si l’on a recours aux produits dérivés pour couvrir les risques, on pourrait s’attendre à ce qu’ils amortissent la crise.
Si par exemple, l’acheteur et non pas le vendeur, d’un contrat sur risque de défaut dépose son bilan en cas de défaillance, on pourrait s’attendre à ce que ce contrat amortisse la crise. D’un autre côté, si l’on juge que les produits financiers dérivés entraînent une escalade de prise de risque, on pourrait s’attendre à ce qu’ils précipitent la crise. Selon l’interprétation traditionnelle de la crise de 2007-2008 aux Etats-Unis, les produits dérivés ont intensifié les prises de risques d’une toute autre façon. D’après les dires, ils ont entraîné une spirale à la hausse des évaluations des créances hypothécaires, car ils étaient concoctés dans la « Central Valley » dans les conditions les plus douteuses, mais transformés ensuite en bouquets fort bien notés, A et plus. Dans un tel contexte, la spéculation n’avait aucun effet sur les notations. Les émetteurs de créances hypothécaires n’étaient donc pas incités à exiger des emprunteurs un acompte ou une crédibilité quelconque, et pour la plupart, ne l’ont jamais fait. En créant et en notant les produits dérivés, les sociétés d’investissement et les agences de notation minaient leur réputation de fiduciaires. Du fait de ce nouveau rôle joué par les produits dérivés, un indice du crédit basé sur l’encours des prêts, même en incluant les banques parallèles, donne un repère prudent par rapport auquel mesurer où nous devrions être.
Ce point de vue concorde également avec le sentiment général à partir de l’automne 2008.
A ce moment là, c’est à la Grande Dépression que l’on comparait la situation en l’absence de toute intervention de l’Etat. Vue sous cet angle, la politique macroéconomique a non seulement été bonne mais tout à fait appropriée, comme le démontre l’excellent ouvrage d’Alan Blinder, « After the Music Stopped».
Les mesures prises ont pratiquement toutes obéi aux prescriptions du praticien, notamment:
• la loi de relance économique de 2008
• le sauvetage d’AIG
• les plans de secours de Washington Mutual, Wachovia et CountryWide
• le programme de rachat des actifs dévalorisés (TARP)
• les tests de résistance menés par le Trésor et la Réserve Fédérale
• les baisses de taux d’intérêt à près de zéro
• la loi de 2009 pour la reprise et le réinvestissement
• le sauvetage de l’industrie automobile
• la coopération internationale dans l’esprit du sommet du G20 de Pittsburgh où le FMI a joué un rôle de premier plan.
Il n’y a qu’une grande critique à émettre à l’encontre des mesures prises: nous aurions du faire comprendre à l’opinion publique que le succès ne doit pas se mesurer à l’aune du taux actuel de chômage mais d’une référence qui intègre la vulnérabilité financière apparue durant la période de prospérité précédente. En tant qu’économistes, nous n’avons pas su expliquer l’efficacité de nos politiques de stabilité macroéconomique. L’opinion publique a du mal à écouter et c’est bien naturel, elle a bien d’autre préoccupations que celles de devenir experte ou historienne en macroéconomie.
Mais un zeste de bon sens permet de comprendre les raisons pour lesquelles les mesures prises ont si bien réussi. Si Lehman Brothers avait eu un dollar de déficit (et il lui suffisait un dollar de gain pour éviter la faillite), le simple débours de deux dollars au bon moment de la crise, aurait pu nous sauver d’une Grande Dépression. À l’image du doigt qui a permis de boucher le trou dans la digue, deux dollars auraient suffi.
Bien sûr, les dépenses engagées pour le sauvetage ont dépassé les deux dollars, et iront sans doute se chiffrer jusqu’à plusieurs milliards, mais elles ont littéralement stoppé la catastrophe financière qui avançait à grands pas. Par rapport à la perte de dizaines de milliers de milliards de dollars de PIB si la Grande Dépression s’était répétée, les économies réalisées par le programme de rachat des actifs dévalorisés (TARP) sont d’un ordre de grandeur de 1.000 pour un. Au vu de ce ratio, toutes proportions gardées, les montants injectés pourraient être considérés comme le doigt qui a permis de boucher le trou dans la digue.
Les dépenses des gouvernements Bush et Obama pour la relance budgétaire ont eu un moindre rendement mais elles ont sans aucun doute été efficaces. D’après les estimations actuelles, les multiplicateurs de dépenses publiques sont de l’ordre de 2. Là encore, intuitivement, il y a une logique. Les estimations d’un multiplicateur budgétaire en équilibre au regard de la trappe de liquidités se situent environ à 1, tant en théorie qu’en approximation; et le multiplicateur fiscal s’établit systématiquement solidement autour de 1; et les multiplicateurs de dépenses publiques sont la somme des deux. Les mesures de relance économique ont donc aussi, selon toute vraisemblance, été payantes.
Pour résumer, en tant qu’économistes, nous n’avons vraiment pas su prévoir la crise, mais les politiques économiques adoptées depuis ont été proches des meilleures prescriptions de tout bon praticien de l’économie. Elles ont émané directement des gouvernements Bush et Obama et de leurs hauts responsables, et ont été appuyées par le Congrès.
De bonnes mesures économiques associées au bon sens ont fait leurs preuves, tel est l’enseignement à tirer pour l’avenir : nous avons tâtonné et réussi. Ne l’oublions pas pour nos politiques futures.