Retour sur l’année 2011 : quatre dures vérités

Par Olivier Blanchard, Conseiller économique et Directeur, Département des études, FMI
Affiché le 21 décembre 2011 par le blog du FMI - "iMFdirect"


Quelle différence une année peut faire … Nous avons débuté l’année 2011 sur le mode de la reprise, faible et inégale, certes, mais il y avait malgré tout de l’espoir. Les enjeux paraissaient plus gérables : comment sortir de l’endettement hypothécaire excessif aux États-Unis, comment assurer l’ajustement des pays à la périphérie de la zone euro, comment faire face à l’afflux de capitaux fébriles dans les pays émergents, et comment améliorer la réglementation du secteur financier.

Cette liste était bien longue, mais il semblait possible d’en venir à bout.

Pourtant, alors que l’année touche à sa fin, la reprise est en panne dans de nombreux pays avancés, certains investisseurs en sont même à étudier les implications d’un éventuel éclatement de la zone euro, et il est fort possible que la situation soit pire que ce que nous avons connu en 2008.

Je tire quatre grandes leçons de ce qui s’est passé.

•        En premier lieu, à la suite de la crise de 2008–09, l’économie mondiale regorge d’équilibres multiples — résultats auto-réalisateurs du pessimisme ou de l’optimisme, avec les graves conséquences macroéconomiques qui en découlent.

Les équilibres multiples ne sont pas une nouveauté. Nous sommes depuis longtemps conscients du danger des paniques bancaires auto-réalisatrices : c’est pour cela qu’on a créé les systèmes de garantie des dépôts. Les attaques auto-réalisatrices contre les monnaies à taux fixe sont amplement décrites dans tous les manuels d’économie. Et nous avons appris très vite durant la crise que le financement de gros peut avoir les mêmes effets et que la panique peut toucher tout autant les établissements bancaires que non bancaires. C’est ce qui a amené les banques centrales à alimenter en liquidités une gamme bien plus large d’établissements financiers.

Ce qui est apparu plus clairement cette année, c’est que les problèmes de liquidité et les paniques qu’ils engendrent peuvent aussi mettre en péril les États. Comme les banques, les États ont des passifs bien plus liquides que leurs actifs — pour l’essentiel leurs futures recettes fiscales. Si les investisseurs les jugent solvables, ils peuvent emprunter à un taux sans risque; si les investisseurs commencent à avoir des doutes et exigent un taux de rémunération plus élevé, cette hausse du coût de l’emprunt risque fort de conduire à un défaut de paiement. Plus le niveau d’endettement est élevé, moins il y a d’écart entre solvabilité et défaillance et moins il y a d’écart entre le taux d’intérêt lié à la solvabilité et celui qui mène au défaut de paiement. L’Italie est actuellement sous les feux des projecteurs, mais il ne faut pas nous faire d’illusions : dans la situation d’après-crise caractérisée par un fort endettement public et la défiance des investisseurs, beaucoup d’États sont vulnérables. S’ils n’ont pas accès à suffisamment de liquidités pour que les taux d’intérêt restent à des niveaux raisonnables, le danger est bien présent.

•       Deuxièmement, des remèdes incomplets ou partiels peuvent faire empirer la situation.

Nous avons vu comment le sentiment général s’est souvent dégradé après des réunions de haut niveau qui promettaient une solution mais ne produisaient que des demi-mesures. Ou lorsque les plans annoncés en fanfare se révélaient insuffisants ou irréalisables. Cela tient à mon sens à ce que ces réunions et ces plans ont montré les limites de l’action gouvernementale, généralement en raison de désaccords entre les pays. Avant ces rencontres, les investisseurs ne pouvaient pas avoir de certitudes, mais misaient plus ou moins sur l’aptitude des acteurs à trouver une solution. Les tentatives très médiatisées ont clairement démontré qu’il n’était tout simplement pas possible de résoudre complètement le problème, du moins pas dans l’immédiat. Visiblement, le proverbe selon lequel «mieux vaut avoir tenté sa chance et échoué que n’avoir rien tenté» ne se vérifie pas toujours.

•        Troisièmement, les investisseurs financiers ont un comportement schizophrénique à propos de l’assainissement des finances publiques et de la croissance.

Ils réagissent de manière positive à l’annonce d’un rééquilibrage des finances publiques, mais réagissent ensuite négativement, lorsque les restrictions budgétaires entraînent un ralentissement de la croissance, ce qui est souvent le cas. D’après quelques estimations préliminaires sur lesquelles le FMI travaille, il n’y a pas besoin de grands multiplicateurs pour que les effets conjugués de l’assainissement budgétaire et de la baisse de croissance qui en découle provoquent en définitive une augmentation, et non une diminution, des écarts de taux (primes de risque) sur les obligations publiques. Dans la mesure où les États estiment qu’ils doivent réagir à la pression des marchés, ils risquent d’être incités à redresser la barre trop vite, même du point de vue étroit de la viabilité de la dette.

Soyons clairs. Un assainissement considérable des finances publiques s’impose, et il faut absolument réduire les niveaux d’endettement. Mais, comme l’a si bien dit Angela Merkel, ce doit être un marathon et non un sprint. Il faudra plus de deux décennies pour revenir à des niveaux d’endettement prudents. Il y a un autre proverbe qui s’applique aussi à cette situation : «qui veut aller loin ménage sa monture».

•         Quatrièmement, la perception façonne la réalité.

À tort ou à raison, les cadres conceptuels se modifient au fil des événements. Et une fois ce changement opéré, impossible de revenir en arrière. Par exemple, il ne s’est pas passé grand-chose en Italie l’été dernier. Mais, dès lors que l’Italie a été jugée en difficulté, cette perception s’est enracinée dans les esprits. Et les perceptions ont une grande importance : une fois que les investisseurs puissants ont déserté un marché, ils n’y reviennent pas de sitôt. Autre exemple : il n’y a pas eu grand changement dans la situation économique de la zone euro au second semestre de cette année. Mais dès lors que les marchés et les commentateurs ont commencé à parler de l’éclatement de l’euro, l’idée s’est ancrée dans les esprits et il sera difficile de la dissiper. Nombre d’investisseurs financiers s’affairent déjà à échafauder des stratégies, pour le cas où elle deviendrait réalité.

La conjonction des quatre facteurs que je viens d’énumérer explique pourquoi l’année se termine bien plus mal qu’elle n’a commencé.

Tout espoir est-il perdu? Non, mais il sera plus difficile de remettre la reprise sur les rails qu’il y a un an. Cela nécessitera des plans de redressement budgétaire crédibles, mais réalistes. Cela nécessitera des injections de liquidités pour éviter les équilibres multiples. Cela nécessitera non seulement l’annonce de plans de redressement, mais aussi leur mise en œuvre. Et cela nécessitera enfin une collaboration beaucoup plus efficace de toutes les parties prenantes.

J’espère que c’est ce qui va se produire. L’hypothèse inverse est vraiment trop déplaisante.


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