De l’influence des taux d’intérêt sur les décisions des investisseurs, en long, en large et à découvert
Par Erik Oppers, Chef adjoint de la Division de la Stabilité financière mondiale au sein du Département des marchés monétaires et de capitauxAffiché le 13 septembre 2011 par le blog du FMI - "iMFdirect"
Sur quels critères les investisseurs se fondent-ils pour placer à long terme ? Nos études montrent qu’en général ils ne se penchent pas sur les différences de taux d’intérêt entre pays.
Il apparaît en revanche que les investisseurs s’orientent plutôt vers les pays qui présentent des perspectives de croissance à la fois satisfaisantes et stables, des risques peu élevés, notamment en termes de stabilité politique et économique, et un taux de change stable. Cela paraît plutôt logique dans le cas des investisseurs à long terme comme les caisses de retraite et les compagnies d’assurances.
Pourquoi donc entend-on dire partout que le faible niveau des taux d’intérêt dans les pays avancés «pousse» les flux d’investissement vers les pays émergents, qui offrent des taux généralement plus rémunérateurs ? Cela ne correspond-il pas à la réalité ?
Les études que nous avons menées dans le cadre du Rapport sur la stabilité financière dans le monde pour déterminer les critères de décision de placement des investisseurs institutionnels se sont appuyées sur des statistiques détaillées sur les entrées et sorties des fonds de placement collectif investis en actions et en obligations.
L’horizon d’investissement de cette catégorie d’investisseurs est généralement le long terme et il n’est pas rare que leur portefeuille contienne des obligations arrivant à échéance des décennies plus tard. Ces investisseurs recherchent avant tout des rendements à long terme et, élément important, ils financent leurs placements sur leurs propres fonds et non sur des capitaux empruntés.
Ces investisseurs n’accordent tout simplement pas beaucoup d’importance aux taux d’intérêt. Nous nous sommes intéressés aux taux d’intérêt à court terme, à long terme, réels et nominaux. Que ce soit pour leurs placements en actions ou en obligations, les investisseurs institutionnels n’y ont généralement pas été sensibles.
Les taux importent pour les investisseurs ayant recours au levier financier
Il convient d’apporter deux nuances importantes à ce constat.
Premièrement, la communauté des investisseurs est hétérogène en termes de structure, de taille, d’objectifs et d’incitations; autant de facteurs qui dépendent de l’origine des fonds investis (fonds propres ou capitaux empruntés), des donneurs d’ordre (caisses de retraite ou personnes prêtes à prendre des risques) et, enfin, de l’horizon de placement.
Aux côtés des investisseurs institutionnels, dont nous venons de voir le comportement, il existe une autre catégorie d’investisseurs qui empruntent pour placer. Appartiennent à cette catégorie les fonds spéculatifs et les entités qui exécutent des opérations de portage.
Bien que ces investisseurs ne rentrent pas dans le cadre de notre étude, plusieurs raisons nous incitent à penser que les investisseurs ayant recours au levier financier sont davantage sensibles aux différentiels de taux d’intérêt.
• Parce qu’ils empruntent pour investir, le taux d’intérêt qu’ils versent représente pour eux un coût d’exploitation direct et non un simple coût d’opportunité, comme pour les autres investisseurs. Du fait de ce lien plus direct entre niveau des taux d’intérêt et rendements du portefeuille, les investisseurs ayant recours au levier financier sont naturellement plus sensibles aux différentiels de taux d’intérêt entre pays.
• Qui dit levier, dit généralement risque dans la mesure où des sommes considérables sont en jeu par rapport à une mise initiale plus modeste. Du fait de ce risque supplémentaire, le portefeuille de ces investisseurs a des chances d’être beaucoup plus sensible à l’ensemble des critères fondamentaux d’investissement, dont les taux d’intérêt.
Dans la mesure où ces deux catégories d’investisseurs semblent réagir différemment au niveau des taux d’intérêt, leur importance relative joue sur l’impact global des différentiels de taux sur les flux d’investissement. Avec plus de 70 000 milliards de dollars, nos investisseurs institutionnels se taillent la part du lion du total des actifs à investir. Le montant total des actifs susceptibles d’être investis par les investisseurs ayant recours au levier financier est nettement inférieur, probablement de l’ordre d’un dixième de ce montant.
Même si le montant des avoirs qu’ils investissent est inférieur, nos études ont montré que les investisseurs ayant recours au levier financier peuvent avoir un impact important sur la volatilité des marchés car ils sont beaucoup plus actifs, transférant leurs capitaux vers les marchés ou les pays qui offrent les meilleures perspectives de rendement à court terme.
Cela se vérifie encore plus pendant les périodes de turbulences, qui peuvent contraindre ces investisseurs à vendre, par exemple pour éviter des pertes supérieures à leur mise initiale. Les investisseurs à long terme sont peut-être plus enclins à attendre que l’orage passe dans la mesure où ils n’ont rien à rembourser.
La deuxième nuance qu’il convient d’apporter à ce tableau est que si les taux d’intérêt devaient rester bas, les investisseurs à long terme pourraient eux aussi devenir davantage sensibles à leur niveau.
La faiblesse des taux d’intérêt n’est pas une bonne chose pour la situation financière des investisseurs institutionnels qui doivent obtenir un rendement minimum, à l’image des caisses de retraite qui se sont engagées sur un certain niveau de prestations sur la base de taux de rendement attendus nettement supérieurs à ceux qu’il leur est possible d’espérer actuellement.
Pour le moment, la majorité de ces investisseurs institutionnels prennent leur mal en patience, acceptant des rendements inférieurs sans transférer de fonds vers des pays offrant des taux d’intérêt supérieurs et perçus comme plus risqués, ni vers d’autres classes d’actifs nationaux plus risqués. Cependant, plus la période actuelle de faibles taux d’intérêt sera longue, plus la situation financière de ces investisseurs deviendra délicate et plus ils seront poussés à «rechercher le rendement».
Quoi qu’il en soit, sur le long terme, le principe de base n’est pas remis en question. Il y a fort à parier que les investisseurs institutionnels à long terme, attentifs avant tout au taux de croissance et au risque-pays, continuent de dominer le paysage et selon toute probabilité, les différentiels de taux d’intérêt entre pays ne devraient pas avoir d’incidence sur ces flux à long terme.
S. Erik Oppers est Chef adjoint de la Division de la Stabilité financière mondiale au sein du Département des marchés monétaires et de capitaux. Il collabore à la rédaction du Rapport sur la stabilité financière dans le monde et travaille sur une série de questions relatives à la politique dans le secteur financier. Auparavant, il s’est consacré aux programmes du FMI en Asie, aux questions relatives au secteur financier et à l’assistance technique en Afrique. Il a enseigné à l’Université du Michigan à celle de Georgetown et travaillé à l’autorité des marchés financiers des Pays-Bas.