Europe de l’Est et Roumanie — La voie de la prospérité
le 16 juillet 2013
Christine LagardeDirectrice générale, Fonds monétaire international
Bucarest, le 16 juillet 2013
Texte préparé pour l’intervention
Bonjour. Bună Ziua. Je tiens à remercier le Gouverneur Isărescu de ses aimables paroles. Je vous suis très reconnaissante, à vous et au gouvernement roumain, de m’avoir invitée dans votre merveilleux pays.
C’est un grand plaisir pour moi de me trouver ici dans cette belle ville de Bucarest pour ma première visite en tant que Directrice générale du FMI. En me déplaçant à travers la ville hier et aujourd’hui, je me suis vraiment sentie «chez moi»; après tout, Bucarest est parfois appelée le «Petit Paris». Pourtant, ce qui m’a le plus frappée, c’est à quel point la Roumanie est bien «chez elle» au sein de l’Europe. Vos destinées sont à jamais liées.
Le processus d’intégration européenne n’a été ni rapide ni sans à-coups. Le rêve vieux de plusieurs siècles d’un continent uni et en paix est réapparu après la Seconde Guerre mondiale. Le dramaturge roumain Eugène Ionesco en a capturé l’essence lorsqu’il a dit : «les rêves et les angoisses nous rapprochent».
L’idée est simple : en se rapprochant, tous les Européens pourraient prospérer et s’épanouir. Ce principe reste présent aujourd’hui tandis que l’Europe se tourne vers l’Est, et que la Roumanie et ses voisins se tournent vers l’Ouest.
La Roumanie incarne l’objectif d’une Europe ouverte et inclusive. Elle se trouve au carrefour de trois régions : l’Europe centrale, l’Europe de l’Est et les Balkans. Là où trois mondes se rencontrent, non pas pour s’affronter, mais bien pour converger.
C’est dans ce contexte que je souhaiterais évoquer avec vous trois points :
- Premièrement, le contexte mondial : la situation actuelle de l’économie mondiale et ses perspectives.
- Deuxièmement, votre contexte régional : les progrès accomplis par l’Europe de l’Est et les enseignements à tirer pour approfondir l’intégration.
- Troisièmement, la Roumanie et le chemin vers la prospérité — et pas seulement la survie — au sein de l’Europe.
I. Le contexte mondial
Où en sommes-nous à l’échelle mondiale? La semaine dernière, le FMI a publié une mise à jour de son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale. Les nouvelles ne sont certainement pas mauvaises, mais j’aurais voulu qu’elles soient meilleures.
La bonne nouvelle, c’est que les risques les plus extrêmes semblent avoir disparu. Il y a cependant encore trop de «ralentisseurs» sur la voie d’une croissance mondiale vigoureuse et durable.
Globalement, l’économie mondiale devrait croître d’environ 3,1 % cette année, c’est-à-dire au même rythme qu’en 2012. C’est un peu moins que ce que nous avions prévu il y a quelques mois, et ce en raison de deux facteurs : la persistance de la récession dans la zone euro — où la croissance est encore négative à hauteur de 0,6 % — et aussi une croissance plus faible que prévu dans un grand nombre des principaux pays émergents.
Pourtant, les pays émergents et en développement, avec une croissance économique de l’ordre de 5 % cette année, seront un atout de vigueur relative pour l’économie mondiale. Il y a aussi d’autres régions où la croissance est généralement sur la bonne voie. Je pense ici aux États-Unis, bien que le durcissement budgétaire considérable freine cette dynamique.
Des risques assombrissent aussi le tableau, des risques à la fois anciens et nouveaux.
Il y a le risque bien connu de voir la situation de l’Europe s’aggraver avant de s’améliorer, ainsi que la question persistante du plafond de la dette des États-Unis.
Il y a aussi le risque que le ralentissement de la croissance dans les pays émergents ne dure plus longtemps que prévu. Cela tient en partie à l’évolution de la situation locale, par exemple le durcissement des conditions de crédit et les contraintes structurelles qui brident la croissance, mais aussi à des facteurs externes, en particulier le repli de la demande mondiale et les incertitudes concernant la stabilité financière.
Un autre sujet de préoccupation pour les pays avancés comme pour les pays émergents est le risque que les turbulences qui agitent actuellement les marchés ne perdurent en s’aggravant. Pour la période à venir, l’un des principaux éléments à prendre en considération est le retrait des mesures non conventionnelles de politique monétaire, qui devra être soigneusement étalé dans le temps et faire l’objet d’une communication claire.
Tout cela nous rappelle ce sur quoi nous devons concentrer notre attention : la société, l’action publique et les partenariats.
II. Les enseignements à tirer de votre région
Ici, dans cette région, vous comprenez bien ces interconnexions. Elles font partie de votre histoire. Cela m’amène à mon deuxième point : comment l’expérience de ces deux dernières décennies peut aider votre région à tracer le chemin vers une intégration réussie et une prospérité durable et partagée.
Considérez les progrès déjà accomplis. Rappelez-vous la transformation historique de ces deux dernières décennies. Lorsque les murs sont tombés et que les portes se sont ouvertes sur l’Ouest, les pays et les peuples de cette région ont à jamais changé. L’année 1989 a été un grand tournant pour la région — et pour la Roumanie en particulier —, qui a alors opté de façon décisive pour une plus grande ouverture économique, la modernisation des institutions et le projet européen.
Intégration et réforme ont rendu possible une croissance rapide. Entre 1995 et 2007, l’Europe de l’Est s’est développée plus vite que toutes les autres régions émergentes, seules la Chine et l’Inde faisant exception.
L’histoire est bien connue : les pays ont misé sur la vague des exportations, amplifiée par l’afflux de capitaux qui n’a pas tardé à suivre.
Il y a bien sûr un revers à la médaille. L’afflux de capitaux et de crédit a fini par gonfler excessivement la demande. De plus, les politiques budgétaires ont accéléré le rythme insoutenable de la croissance, au lieu de l’atténuer. C’est ainsi que les déficits extérieurs courants ont dépassé 10 % du PIB dans un grand nombre de pays, allant jusqu’à 25 % du PIB dans certains d’entre eux.
C’est alors qu’est survenue la crise de 2008, qui a fait subir à vos économies, et à vos peuples, des pertes considérables. La croissance est devenue fortement négative, le recul dépassant 10 % dans beaucoup de pays.
Aujourd’hui, cinq ans après le début de la crise, le pire est passé. La plupart des pays de la région, dont la Roumanie, ont retrouvé la croissance. Cette année, nous prévoyons que deux pays seulement, la Croatie et la Slovénie, resteront en récession, contre huit l’année dernière.
Quelle leçon retenir de tout cela? Certainement pas que vous devez renoncer à l’intégration européenne.
Oui, l’intégration comporte des risques, mais ils peuvent être maîtrisés. Oui, l’Europe traverse l’une des plus grandes épreuves qu’elle ait jamais connues. Ce sont autant de défis qui peuvent, et qui doivent, être affrontés ensemble. Je suis profondément convaincue que l’intégration est riche de promesses, qu’elle est la voie à suivre pour l’Europe de l’Est.
En prenant un peu de recul, nous pouvons répondre à la question de savoir si l’Europe de l’Est va mieux aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans. Sans ambiguïté, la réponse est positive. Le revenu moyen a triplé au cours des deux dernières décennies, en passant d’environ 3000 dollars en 1993 à plus de 10 000 dollars aujourd’hui.
Si je devais tirer un seul message de tout cela, c’est que vous êtes maîtres de votre propre destinée. Vous pouvez mettre à profit la force de l’intégration pour parvenir à une croissance durable et créer des emplois.
Comment y arriver? Je citerai trois domaines d’action principaux :
- Premièrement, assurer la stabilité macroéconomique. Beaucoup de pays ont pris les mesures difficiles qui s’imposaient pour contenir les déficits budgétaires. Il y a à peu près un an, je suis allée en Lettonie. C’est un bon exemple : l’année dernière, la Lettonie affichait un excédent budgétaire alors qu’elle avait enregistré un déficit de près de 8 % du PIB en 2009. Cela dit, le déficit reste supérieur à 3 % du PIB dans environ la moitié des pays de la région et la dette publique est en hausse. Il est donc important que les pays soient déterminés à poursuivre le mouvement de réduction des déficits.
- Deuxièmement, faire en sorte que le poids de l’ajustement soit réparti de façon équitable et que d’autres mesures soient prises pour accompagner la croissance. La politique monétaire accommodante a été un amortisseur important dans la région — et ailleurs — tout en assurant un ancrage ferme des anticipations inflationnistes. Une autre mesure à considérer dans ce domaine consiste à trouver le moyen, même en période de restrictions budgétaires, de renforcer les dispositifs de protection sociale et de protéger les populations les plus vulnérables.
- Troisièmement, faire passer la croissance à un palier supérieur. Il est vrai que la lenteur de la croissance est aujourd’hui en partie conjoncturelle, mais elle résulte aussi d’obstacles structurels. La croissance potentielle de la région a diminué considérablement depuis la crise : de plus de 5 % en 2007 elle est tombée à moins de 2½ % en 2012. Les obstacles peuvent varier d’un pays à l’autre; ils peuvent être liés au mauvais fonctionnement du marché du travail, à la qualité déficiente des infrastructures ou encore au caractère inachevé du processus de transition. Mais la région est unie par un objectif commun : faire disparaître les obstacles qui brident la vitalité et le dynamisme des économies, et supprimer ceux qui les empêchent de prospérer encore plus dans une Europe intégrée.
III. Les perspectives de la Roumanie
J’en viens maintenant à mon troisième et dernier point : comment la Roumanie peut-elle exploiter au mieux les possibilités qui s’offrent à elle?
Votre place et votre avenir sont au sein de la famille européenne. En même temps, l’enjeu est encore plus grand pour la Roumanie, qui a le plus à gagner de tous les pays de la région.
L’Union européenne forme un marché gigantesque : elle absorbe environ 70 % des exportations roumaines et est à l’origine de plus de trois quarts de l’investissement direct étranger dans le pays. Cependant, pour la Roumanie, il ne s’agit pas simplement d’une source potentielle de croissance. C’est aussi l’occasion d’améliorer le sort de tous les Roumains. Le revenu par habitant de la Roumanie étant égal à environ un quart de la moyenne de l’UE, le pays a beaucoup à gagner.
La Roumanie est bien placée pour effectuer ce bond en avant.
Tout d’abord, votre pays dispose d’un vaste potentiel économique. L’abondance potentielle d’énergie naturelle. Une situation stratégique sur la Mer Noire qui ouvre des horizons au-delà de l’Europe. Enfin, une main-d’œuvre énergique et en grande partie inutilisée. A 64 %, le taux d’activité est en effet parmi les plus faibles de l’UE; et il est encore plus bas pour les femmes.
La Roumanie a réussi à stabiliser son économie après avoir été durement touchée par la crise. Des décisions difficiles ont dû être prises, mais le pays ne s’est pas dérobé face aux problèmes et il a ainsi pu redresser de façon remarquable des déséquilibres macroéconomiques intenables. En l’espace de trois ans, la Roumanie a réduit son déficit budgétaire de plus de 6 % du PIB et s’est affranchie de la procédure prévue par l’UE en cas de déficit excessif.
Il va sans dire que si la Roumanie a accompli de tels progrès, c’est aussi en grande partie grâce aux mesures ambitieuses qu’elle a prises pour transformer ses institutions et améliorer la prise de décision avec l’adhésion à l’UE.
Dans le même ordre d’idées, la stabilisation réussie de la Roumanie a aussi été caractérisée par une forte adhésion à l’esprit de coopération et de partenariat. L’Initiative de Vienne est un excellent exemple de coordination entre partenaires publics et privés pour éviter des retraits massifs du système bancaire. Je suis fière de pouvoir dire que le FMI a accompagné la Roumanie, en lui fournissant un soutien financier et technique. Nous nous réjouissons à la perspective de poursuivre notre partenariat.
Naturellement, c’est grâce à votre engagement et à votre détermination que la Roumanie a pu aller si loin. Ces efforts ont créé les bases de la croissance économique et je suis convaincue que la Roumanie saura maintenir le cap.
Il s’agit maintenant de faire passer l’économie au palier supérieur.
Il convient en priorité d’élaborer des plans de transformation structurelle pour que la Roumanie soit capable non seulement de survivre mais de prospérer au sein de l’Europe.
Votre pays a le mérite d’avoir pris ces dernières années des mesures pour commencer à démanteler les obstacles qui freinent la croissance. À cet égard, il convient de mentionner en particulier les mesures remarquables qui ont été prises en vue de libéraliser les prix de l’énergie. Le FMI a publié récemment une étude sur cette question et l’approche de la Roumanie dans ce domaine a toutes les caractéristiques d’un modèle : libéralisation progressive des prix accompagnée d’un meilleur ciblage de la protection sociale pour en atténuer les effets sur les couches les plus vulnérables de la population.
Cela dit, il existe d’autres réformes qui peuvent rehausser la compétitivité de la Roumanie et mettre le pays de façon permanente sur la voie d’une croissance plus forte et mieux partagée. De quelles réformes s’agit-il? Je pense en particulier à celles qui favorisent la création d’emplois et aux efforts continus pour améliorer la protection sociale des populations les plus vulnérables. Je citerai par exemple l’amélioration qualitative des infrastructures énergétiques et de transport, par des mesures visant à accroître la viabilité des entités publiques et à créer un environnement propice à l’investissement du secteur privé, qui peut ainsi aider à rehausser l’efficience des secteurs concernés.
L’amélioration du climat d’investissement ne concerne pas uniquement le secteur privé. Des mesures permettant à la Roumanie d’utiliser de façon efficace les fonds européens pour effectuer des investissements publics soutiendraient aussi la croissance.
Par-dessus tout, la réalisation d’une plus grande prospérité nécessite de la détermination. S’il y a une chose à retenir de la crise, c’est que l’action des pouvoirs publics met du temps à susciter des changements et à engendrer de la croissance.
Une dernière remarque
Je voudrais terminer par cette remarque. L’avenir de la Roumanie est un avenir partagé : par les générations de jeunes Roumains à qui vous avez la ferme volonté d’assurer un avenir meilleur et par la famille européenne à laquelle vous appartenez.
Vous avez un proverbe dans notre pays : «Unde-s doi, puterea creşte». À la beauté de ses paroles s’ajoute celle du sens; il révèle quelque chose de très profond sur votre pays.
On peut traduire, mot à mot, par «Lorsque l’on est deux, on est plus fort», ou encore, moins littéralement, «L’union fait la force». Nous percevons cette force dans le mélange harmonieux des héritages latin et slave.
La Roumanie est indéniablement unique, mais elle est aussi profondément européenne. En tant que membre de la famille européenne, et de la communauté mondiale, elle peut sans cesse gagner en vigueur.
Mulţumesc. Merci.
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