Bulletin du FMI : Des politiques bien conçues pour réduire les inégalités avec efficience
le 13 mars 2014
- Les inégalités s’accentuent dans beaucoup de régions du monde
- La politique budgétaire peut aider les pays à réduire les inégalités
- Les politiques redistributives peuvent aller de pair avec l’efficience économique
Pour pouvoir accompagner une croissance durable, le travail de redistribution du revenu doit s’appuyer sur des instruments budgétaires capables d’atteindre les objectifs de répartition tout en pénalisant le moins possible l’efficience économique.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET INÉGALITÉ DES REVENUS
Pour pouvoir accompagner une croissance durable, le travail de redistribution du revenu doit s’appuyer sur des instruments budgétaires capables d’atteindre les objectifs de répartition tout en pénalisant le moins possible l’efficience économique.
Face à l’aggravation des inégalités observée ces dernières années, la politique budgétaire est de plus en plus sollicitée pour redistribuer les revenus. S’il appartient aux gouvernants de calibrer la redistribution que l’État doit opérer, la conception des mesures elles-mêmes en détermine les effets sur l’efficience et la croissance de l’économie.
Un récent document des services du FMI sur la politique budgétaire et l’inégalité des revenus traite de l’élaboration de mesures redistributives efficientes et génératrices de croissance. Cette étude vient s’ajouter aux précédents travaux réalisés par les services du FMI pour cerner les retombées des inégalités sur la croissance. Le mois dernier, le Département des études avait publié un autre document sur cette problématique.
L’évaluation des effets de l’impôt et des dépenses publiques sur l’efficience économique et les objectifs de distribution du revenu fait depuis longtemps partie des conseils que le FMI prodigue à ses pays membres dans le cadre de l’assistance technique. Une des préoccupations communes aux programmes de financement du FMI consiste à élaborer des mesures qui cadrent avec les objectifs des autorités en matière de distribution des revenus. L’étude fait la somme des connaissances acquises par le FMI dans ce domaine.
«En matière de redistribution budgétaire, le choix des modalités a son importance», explique David Lipton, Premier Directeur général adjoint du FMI. «Si la redistribution est mal conçue, ou si elle va trop loin, elle peut être source de distorsions» précise-t-il, «mais certaines politiques budgétaires redistributives, comme celles qui visent à mettre en valeur le capital humain des ménages à faible revenu, peuvent en fait améliorer l’efficience et accompagner la croissance».
Évolution tendancielle des inégalités
Au cours des trois dernières décennies, l’inégalité des revenus s’est aggravée dans la plupart des pays. Le niveau des inégalités a certes récemment diminué en Amérique latine et en Afrique subsaharienne, mais il est frappant de constater que des écarts persistent entre régions : c’est en Amérique latine que les inégalités restent les plus fortes et dans les pays avancés qu’elles sont le moins marquées.
L’attention s’est portée plus récemment sur la concentration croissante du revenu dans les tranches supérieures. D’après notre étude, les tendances varient d’un pays à l’autre. Aux États-Unis et en Afrique du Sud, la part des 1% les plus riches a augmenté de manière fulgurante en une ou deux décennies, mais ce n’est pas le cas en Europe continentale ou au Japon, où elle reste grosso modo inchangée. Les avis divergent sur les causes de l’accroissement de la part des 1% les plus riches. Certains invoquent l’impact de la mondialisation et des nouvelles technologies, alors que d’autres citent des choix stratégiques, comme celui d’abaisser les taux d’imposition, et d’autres encore l’expliquent par le comportement de recherche de rente des dirigeants d’entreprises.
Panorama mondial des politiques de redistribution
De par le monde, les pays ont choisi diverses politiques de redistribution pour réduire les inégalités. D’après l’étude du FMI, les pays avancés ont, en moyenne, réussi à réduire d’environ un tiers l’inégalité des revenus à l’aide d’une combinaison de transferts (prestations sociales et indemnités de retraite, par exemple) et d’impôts redistributifs (impôts sur le revenu progressifs, par exemple). D’autres avantages sociaux, comme les dépenses publiques en santé, éducation ou logement contribuent aussi à atténuer les inégalités.
Il apparaît en outre qu’une combinaison judicieuse de mesures peut aider à compenser les retombées négatives de l’ajustement budgétaire sur les inégalités. Les inégalités se sont accentuées dans près de la moitié d’un échantillon de 27 pays avancés et émergents d’Europe qui ont entrepris des ajustements budgétaires en 2007–2012. Cependant, dans beaucoup de ces pays le travail de conception des mesures a permis d’en atténuer les conséquences. Dans deux tiers des pays les mesures budgétaires ont permis de réduire les inégalités ou, tout au moins, de compenser en partie l’impact d’une inégalité grandissante.
Dans les pays en développement, les instruments budgétaires ont joué un rôle plus discret. Les recettes fiscales y sont bien moins élevées (en pourcentage de la production nationale), sauf dans les pays émergents d’Europe. S’agissant de la composition, les taxes sur la consommation constituent une part beaucoup plus importante et sont en général moins redistributives que les impôts sur le revenu. De même, les dépenses redistributives, pour la protection sociale en particulier, y sont bien moindres que dans les pays avancés.
L’étude montre que, dans les pays en développement, une part plus élevée des dépenses sociales est captée par les tranches supérieures de revenu. Hormis dans les pays émergents d’Europe, les 40 % les plus pauvres bénéficient de moins de 20 % des dépenses de protection sociale. De même, le pourcentage des ménages pauvres qui bénéficient de prestations sociales est faible, sauf dans les pays émergents d’Europe et d’Amérique latine.
La situation est la même pour ce qui est de la santé et de l’éducation. Dans beaucoup de pays en développement, les 40 % les plus pauvres perçoivent moins de 40 % du total des prestations. Cela tient au fait que les plus démunis n’ont souvent pas accès à ces services, ce qui contribue à l’inégalité des chances et au peu de mobilité intergénérationnelle.
Options pour une redistribution efficiente
D’après l’étude, il y a quatre éléments à prendre en compte pour élaborer une politique budgétaire redistributive efficiente :
• Il faut tout d’abord qu’elle cadre avec les objectifs macroéconomiques. Le niveau des dépenses de redistribution, par exemple, doit être compatible avec la stabilité macroéconomique; il faut en outre mettre en balance les avantages d’un surcroît de dépenses de redistribution et ceux d’une augmentation des investissements dans d’autres domaines prioritaires, tels que les infrastructures.
• Deuxièmement, il faut évaluer conjointement les impôts et les dépenses. Par exemple, une hausse des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), servant à financer une augmentation des dépenses d’éducation primaire, pourrait en définitive avoir un effet progressif.
• Troisièmement, il importe de concilier les objectifs de redistribution et d’efficience économique. Certaines mesures redistributives, telles que celles qui visent à mettre en valeur le capital humain, peuvent en fait accroître l’efficience. Mais d’autres mesures peuvent avoir des contreparties.
• Quatrièmement, il est nécessaire de tenir compte des capacités administratives.
Sur la base de ces principes, diverses options se présentent pour opérer une redistribution des revenus de manière efficiente. Sur le plan fiscal, certains pays pourraient envisager de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif. Par exemple, là où le taux d’imposition est uniforme, il pourrait y avoir une marge de progression dans les tranches supérieures. Certains pays avancés pourraient aussi envisager d’exempter les petits revenus de l’impôt sur le revenu ou des cotisations sociales.
De manière générale, les taxes sur la consommation (telles que la TVA) sont moins efficaces que les impôts directs aux fins de la redistribution. Comme les groupes les plus aisés dépensent généralement plus, en valeur absolue, en biens essentiels tels que la nourriture et l’énergie, ils profitent énormément si ces biens sont exonérés ou faiblement taxés. Les autorités pourraient envisager de limiter autant que possible les taux zéro ou réduits, de manière à accroître efficacement les recettes afin de financer les dépenses en faveur des plus démunis. Lorsque, du fait de contraintes de capacité, ces dépenses ne profitent pas à leurs destinataires les arguments en faveur d’une différentiation des taux de TVA (par exemple pour les produits alimentaires de base) peuvent être convaincants.
Sur le plan des dépenses, les autorités pourraient s’attacher à améliorer l’accès aux services de santé et d’éducation. D’après l’étude du FMI, l’amélioration de l’accès des familles défavorisées à l’éducation est un moyen efficace de promouvoir l’égalité des chances et peut, à long terme, aussi réduire les inégalités de revenu.
Dans le même ordre d’idées, l’amélioration de l’accès des plus pauvres aux services de santé dans les pays en développement peut contribuer efficacement à améliorer l’égalité des chances. Dans les pays avancés, le maintien des services de santé à la portée des plus pauvres en période de restriction des dépenses est aussi une forme efficace de redistribution.
Ces solutions gagnantes tout le monde peuvent améliorer tant l’égalité des revenus que l’efficience économique.